Bien que leur part de marché reste marginale, les véhicules électriques, principalement les voitures, progressent de manière considérable depuis quelques années. Jusqu'où sont-ils écologiques ? Pour répondre à cette question, nous pouvons comparer sur l'ensemble de leur cycle de vie les voitures électriques avec leurs homologues dotées de moteurs à combustion interne.

Et d'abord, remettons le sujet très médiatique des voitures électriques en perspective : à la fin du XIXe siècle, et plus précisément entre 1895 et 1902, plus de 90 % des taxis new-yorkais étaient équipés de batteries. Les taxis étaient très courants à l’époque, mais pas seulement. D'autres véhicules électriques étaient très répandus aussi du fait du déploiement rapide d'un réseau de distribution électrique sur la côte Est des États-Unis.

Grandeur et décadence des véhicules électriques

Près de 120 ans plus tard, nous assistons à un développement similaire, même s’il est plutôt opposé par certains aspects. Au tournant du XXe siècle, les véhicules électriques ont apporté des avantages considérables. Comparés à leurs homologues à combustion interne, ils se chargeaient plus rapidement, ne pétaradaient pas et n'émettaient aucun gaz d'échappement. Pour couronner le tout, la compagnie d'électricité de William Whitney – play-boy, passionné de chevaux et ex-Secrétaire à la Marine des États-Unis – avait installé sur la côte Est toute une chaîne de stations où les taxis pouvaient échanger leurs batteries vides contre d’autres chargées.

Pourquoi les véhicules électriques ont-ils donc disparu dans les oubliettes de l'histoire à l'orée des années 1930 ? Les historiens n'ont pas encore établi si le phénomène résulte de la banqueroute de Whitney (à l'époque perçue comme une défaillance du système d'électrification), la querelle de longue date entre Whitney et Henry Ford, la découverte de champs de pétrole au Texas ou la production massive de Ford T à moteurs à combustion interne. Au final, lorsque les prix du pétrole ont rapidement décliné et que les stations ont commencé à pousser comme des champignons partout aux États-Unis, la dynamique des véhicules électriques a disparu et les moteurs à combustion interne ont pris le relais.

Tout est affaire de localisation géographique

Par définition, l'électricité n'est pas une source, mais un vecteur d'énergie, par conséquent indépendant de la source. En d'autres termes, l'impact environnemental des véhicules électriques dépend pour une large part de l'infrastructure (routière) et de la manière dont l'électricité est produite. « Alimentés » par des centrales au charbon – la cogénération avec la biomasse ne change pas la donne – les véhicules électriques ont un niveau d'impact identique à celui des  moteurs à combustion interne, et même parfois supérieur.

La fameuse maxime des agents immobiliers – « ce qui compte, c'est la localisation géographique » – s'applique aussi à la conduite des véhicules électriques : du point de vue de l'infrastructure, il y a une grande différence entre charger un véhicule électrique dans un pays où les sources d'énergie renouvelable sont en faible pourcentage (comme Malte ou les Pays-Bas) ou sur un territoire où la proportion d'énergie renouvelable est significativement plus élevée (par exemple en Norvège ou au Danemark).

L'Union européenne et un certain nombre de sociétés de conseil, comme l’UCS (Union of Concerned Scientist), ont établi le bilan. Grosso modo, si l'on prend en considération l'électricité produite, les véhicules électriques émettent 20 à 80 % de CO2 en moins dans l'atmosphère que les moteurs à combustion interne (selon l'étude de l'Union européenne, 248 kg par mile, soit 155 kg par kilomètre). Si l'on prend la Chine, qui possède un énorme parc de centrales au charbon, nous obtenons 188 kg/mile, soit 117,5 kg/km. En France, où l'énergie nucléaire est dominante, le score est d'à peine 2,7 kg/mile, soit moins de 1,7 kg par km parcouru. La Norvège (hydroélectricité) et le Danemark (énergie éolienne) ont un bilan comparable.

Durée de vie des batteries

Ceci étant, contrairement au début du XXe siècle sur la côte Est des États-Unis, où le réseau électrique était supérieur à celui, quasiment inexistant, des stations de distribution de carburant, la charge des véhicules électriques a perdu aujourd'hui ses avantages structurels. D’un autre côté, et de manière similaire aux années 1900, les experts comme les usagers doivent bien prendre en compte la distance parcourue avec un véhicule électrique. Vous pouvez considérer comme règle de base que plus vous voulez aller loin, plus le pack de batteries doit être massif, et donc la consommation électrique.

En outre, même si vous avez un fournisseur d'électricité 100 % renouvelable chez vous, plus vous parcourrez de distance, plus vous aurez à recharger votre véhicule dans des stations de recharge rapide soit sur la route, soit près de votre travail. La recharge rapide réduit de manière significative la durée de vie des batteries et vous n'avez en outre aucune garantie que l'électricité soit intégralement produite par un système d'éolienne ou solaire.

Jusqu'ici, la grande majorité des véhicules électriques utilise la technologie hybride (bien que les voitures intégralement électriques fassent une percée). Le principe de l'hybride diminue le rendement énergétique. Selon l'étude menée au sein de l'Union européenne, les véhicules hybrides utilisent essentiellement les mêmes éléments que les véhicules électriques, tout en possédant un moteur à combustion interne classique et son réservoir à carburant associé. En d'autres termes, leur groupe motopropulseur est partiellement alimenté à l'essence ou au gasoil. Avec le seul moteur à combustion interne, une voiture hybride émet plus de CO2 qu'une voiture classique du fait du poids de son système de batteries.

Le Bonhomme Hiver

Ce n'est pas tout : avec un véhicule électrique, plus vous accélérez, plus vous aurez à recharger rapidement vos batteries. Alors qu’un moteur diesel peut fonctionner de manière (presque) indépendante de la météo, un véhicule électrique est dans une situation inverse. La vitesse de la voiture dépend des vents contraires, mais aussi de la température. Plus il fait froid, moins les batteries sont performantes (avec un kilométrage diminué de 40 % lorsque le Bonhomme Hiver vient freiner les ardeurs du flux d'électrons, si l'on en croit CBC News). De plus, selon certaines études, un conducteur agressif consomme près de 30 % d'électricité supplémentaire par rapport à un automobiliste sensible à l'écologie.

En résumé, il est faux et irréaliste de considérer que tous les véhicules électriques dans le monde sont plus écologiques que ceux propulsés par des moteurs à combustion interne. Le niveau d'impact des véhicules électriques sur l'environnement dépend en réalité de l'infrastructure (routière) et des sources d'énergie, de la localisation (pays et climat), du type de véhicule électrique utilisé et du comportement du conducteur.

Il est tout aussi faux et irréaliste de ne pas comparer les empreintes environnementales des véhicules électriques avec celles des transports publics. Bien que les véhicules électriques puissent potentiellement être plus performants que leurs homologues à combustion interne, les trains, les tramways, les ferries et les métros les surpassent et de très loin. Peut-être serait-il alors préférable d'éviter de dire, comme je l'ai entendu de la part d'un PDG s'exprimant à Amsterdam, que vous prenez une voiture électrique parce que vous êtes attentif à la protection de l'environnement alors qu'il serait beaucoup plus efficace de rouler à bicyclette (ou même de faire du stop si vous préférez)...

Image : Véhicule électrique 1904. Avec l’aimable autorisation de Bundesarchiv, CC-BY-SA 3.0