Depuis plusieurs décennies, considérer l'hydrogène comme un vecteur énergétique tenait d’une utopie pure et simple pour les ingénieurs et les écologistes. Aujourd'hui, alors que les prix des énergies éolienne et solaire diminuent rapidement, le stockage de l'énergie devient de plus en plus crucial. À ce titre, déployer l'hydrogène à grande échelle apporte de très nombreuses solutions pour l'industrie lourde et l'électrification croissante de la société. Pour autant, l'hydrogène présage-t-il d'un paradis décarboné ou va-t-il au contraire compliquer les choses ?

À première vue, l'hydrogène paraît séduisant. Il permet en effet de produire et de stocker d'énormes quantités d'énergie, et il est donc une hypothèse idéale pour une société vouée à des émissions sans carbone. En outre, il s'agit de l'élément chimique le plus simple et le plus abondant de l'univers. Sur Terre, il n'existe pas à l'état pur, et il doit donc être produit soit à partir de gaz naturel (vaporeformage du méthane) ou en décomposant l'eau en oxygène et hydrogène par électrolyse. Dans ce dernier cas, il n'y a aucune émission de gaz à effet de serre : lorsque l'hydrogène s'évapore, il se recombine pour constituer de nouveau de l'eau.

Faible rendement du cycle global

Une analyse plus approfondie montre cependant que l'hydrogène constitue un casse-tête pour les experts du secteur de l'énergie. Les deux processus de conversion (électrolyse, puis réélectrification ou exploitation directe par l'utilisateur final) absorbent beaucoup d'énergie. Au cours de l'électrolyse, 20 à 30 % de l'ensemble de l'énergie contenue dans l'hydrogène sont perdus. La compression ou le refroidissement pour le stockage et le transport représentent 5 à 30 %. Le rendement de la deuxième conversion (sur site ou par le biais d'un réseau gazier) est proche de 70 %, ce qui ramène le rendement global de l'ensemble du cycle de l'hydrogène à tout juste 30 à 40 %, admet l'ESA (Energy Storage Association) (la limite basse concerne l'utilisation de l'hydrogène dans des piles à combustible, fixes ou mobiles).

 

S'il existe quelques start-ups et projets prometteurs pour des applications de dimensions limitées – comme HyTech Power à Redmond, Washington, aux État-Unis, ou Vandenborre Energy Systems à Kasterlee, Brabant, en Belgique – les réponses les plus viables devront adopter des échelles plus vastes pour dépasser le seuil de rendement insuffisant du cycle global. Pour le dire autrement, plus les économies d'échelle seront élevées, plus l’écosystème de d'hydrogène sera résilient. Selon une étude effectuée en 2017 par la firme de conseil DNV GL, il existe, pour les seuls Pays-Bas, une demande potentielle à hauteur de 66 milliards de m3 d'hydrogène, soit six fois plus que la demande actuelle, principalement exploitée dans les raffineries et la production d'ammoniac.

Les prix sont à la baisse

Aujourd'hui, la discussion concerne principalement les prix des électrolyseurs et de l'électricité, principaux freins à un déploiement à grande échelle. Au cours des dernières années, des améliorations considérables ont été obtenues dans ces deux domaines. Ad van Wijk, professeur spécialisé dans les systèmes énergétiques du futur au sein de l’université de technologie de Delft, vient de publier une étude indiquant une diminution considérable des coûts des principaux électrolyseurs : « Alors que les investissements dans les systèmes PEM (membranes échangeuses de protons) atteignaient 2000 € par kilowatt en 2013, ils ont été ramenés à 450 € en avril 2018 pour les projets de grandes dimensions ». Parallèlement, le rendement énergétique s'est amélioré de 75 à 80 %. Selon Ad van Wijk, les prix des électrolyseurs à base alcaline ont diminué dans les mêmes proportions.

Dès que les prix de l'électricité obtenue par des sources renouvelables (éolien et/ou solaire) vont commencer à chuter, voire dans certains cas, devenir négatifs, la production et le stockage d'hydrogène seront d'autant plus intéressants. Actuellement, selon Ben Madden cité dans Elektor Magazine au mois d’avril, les « coûts d'investissement des électrolyseurs sont en train de fondre ». Mieux encore, Energy Brainpool, firme allemande indépendante spécialiste de ce marché, prévoit que, compte tenu d’excédents suffisants en électricité renouvelable, l'hydrogène peut devenir plus rentable que le gaz naturel.

Convertir les excédents énergétiques en hydrogène

Il existe, depuis 2013, des excédents d'énergie renouvelable dans les îles Orcades où ont été installés des systèmes de production d'énergie (éolien, vagues, marées) pour une puissance produite de 50 MW. Selon une information donnée en mai 2018 sur le site Gasworld, la production des éoliennes des communautés locales de Shapinsay et d’Eday est souvent « plafonnée », avec une perte moyenne de 30 % de leurs capacités annuelles. C'est ici qu'entre en jeu le projet BIG HIT de l'Union européenne. L'énergie négative, en lien avec la limitation des générateurs, permet la production d'hydrogène en utilisant un électrolyseur PEM d'une puissance de 1 MW. De plus, la démarche permet d'éviter le renforcement des raccordements au réseau électrique.

Dans le nord des Pays-Bas et de l'Allemagne, deux plaques tournantes européennes majeures pour les applications utilisant l'hydrogène, des consortiums effectuent des recherches extrêmement déterminées concernant la production, le transport et le stockage de l'hydrogène. C’est le cas d’HYGRO, consortium qui réunit l'institut de recherche ECN et le constructeur d'éoliennes Lagerwey. L'objectif est ici de développer une turbine éolienne reliée à un réseau de transport d'hydrogène, car le transport du gaz est considérablement moins coûteux que l'acheminement de l'électricité sur un réseau. Cette éolienne novatrice sera opérationnelle l'année prochaine.

Du point de vue des systèmes, l'hydrogène offre un éventail de solutions complet, contrairement à l'électricité. Selon  le rapport de la firme de conseil DNV GL publié en 2017, il est possible, par exemple, de l’injecter dans le réseau de gaz naturel ou de le stocker en très grandes quantités dans des cavités salines ou des champs de gaz naturel épuisés, et ce, sans obstacles techniques majeurs. Il est également possible d'utiliser l'hydrogène dans des turbines à gaz existantes, moyennant quelques modifications marginales. Du fait de sa faible densité, l'exportation de l'hydrogène est difficile. Pourtant, une étude publiée en 2017 en Australie par le Council of Learned Academies explore la possibilité de transformer l'hydrogène en ammoniac pour le transporter, puis de le reconvertir en hydrogène une fois parvenu sur site. L'Australie dispose d'une infrastructure bien développée pour exporter le gaz naturel liquéfié, ce qui permettrait de l'exploiter pour l'ammoniac. Cette étude cite le Japon comme partenaire commercial potentiel du fait de « ses ressources énergétiques nationales limitées », mais aussi « de ses investissements récents et de sa stratégie économique nationale en direction de projets relatifs à l'hydrogène, notamment avec les véhicules à l'hydrogène et les piles à combustible ». Ce processus de conversion pourrait apporter à l'Australie, en situation d’isolement, une solution qui lui permettrait d'exporter ses excédents d'énergie solaire vers d'autres pays.

Image : Station-service pour l’hydrogène d’ITM Power, entreprise spécialisée dans le stockage de l’énergie et les carburants propres, chargée des installations du projet hydrogène des îles Orcades. Source : Bexim sur Wikimedia, license CC BY-SA 4.0.