De moins en moins chères tout en affichant des performances plus élevées, les solutions matérielles embarquées et miniaturisées continuent leur expansion en répondant désormais à de nouveaux usages. Parallèlement, un nombre croissant de développeurs s’intéressent à des solutions logicielles standardisées open source ou sous licence libre. En raison de la complexité de nombreuses implémentations récentes, le développement de logiciels pour matériel embarqué comme les systèmes d’exploitation temps réel (RTOS) peut s’avérer coûteux et chronophage.
 
Arduino UNO et Raspberry Pi sont deux solutions open source de longue date
Arduino UNO et Raspberry Pi sont deux solutions open source de longue date (Source : Mouser Electronics)
Cependant, en faisant appel à des solutions logicielles open source ou sous licence libre, les ingénieurs ont rapidement accès à une multitude de ressources qui présentent l’avantage d’être à la fois prêtes à mettre en œuvre et gratuites à utiliser. Le partage des connaissances permet de raccourcir les cycles de développement et d’éviter des problèmes propres au développement de solutions propriétaires comme des mises à jour tardives ou le manque d’interopérabilité.

Mais ces avantages peuvent-ils être transposés au domaine du matériel ? S’orienter dans l’univers du matériel open source a longtemps été un chemin semé d’embûches, parmi lesquelles l’absence de propriété intellectuelle et le coût plus élevé des composants, même si ce type de matériel a su tirer son épingle du jeu dans plusieurs domaines tels que l’enseignement et le prototypage.

Dans cette première partie de notre brève série de deux articles consacrés à ce sujet, nous allons d’abord voir ce que l’on entend exactement par open source tant sur le plan logiciel que matériel, puis nous évoquerons quelques exemples de réussites de l’open source dans le secteur de l’électronique.

Définition des logiciels et du matériel open source

Beaucoup de personnes pensent – à tort – que le terme open source se rapporte aux logiciels libres de droits ou relevant du domaine public. La réalité est bien sûr plus nuancée. Bien que beaucoup de solutions open source soient effectivement libres de droits, open source ne signifie pas abandon total des droits de propriété. Inversement, les produits dits closed source ne sont pas nécessairement payants et il convient de faire la distinction entre logiciel gratuit (freeware), open source (code source ouvert) et closed source (code source fermé), à quoi viennent s’ajouter quelques nuances particulières selon que l’on se réfère à des systèmes matériels ou logiciels.

La principale différence, mais souvent la plus négligée, concerne les licences. Tandis qu’un logiciel gratuit peut être dépourvu de restrictions d’utilisation ou de licence, toutes les solutions open source sont sous licence et reposent sur des définitions strictes, aussi bien pour les logiciels que pour le matériel.
 

Définition du logiciel open source

L' Open Source Initiative® (OSI) est une organisation à but non lucratif fondée en Californie à la fin des années 1990 afin de promouvoir les applications open source dans l’industrie du logiciel. Elle poursuit une mission d’éducation et de sensibilisation à l’importance des logiciels non propriétaires.

Toute solution logicielle – qu’il s’agisse d’applications pour PC, de protocoles sans fil ou même de RTOS – doit impérativement répondre à une liste de dix critères pour être considérée comme open source.

Ces critères établis par l’OSI stipulent notamment que les logiciels open source doivent être distribués librement, mais que, contrairement aux logiciels gratuits, ils demeurent sous licence. Cette licence stipule que le code source doit être accessible dans son intégralité et en autorise la compilation et la redistribution. Il est interdit de proposer un code source obfusqué (rendu volontairement illisible). Il est également interdit de soumettre des formes intermédiaires, comme le résultat d’un préprocesseur ou d’un traducteur automatique. La licence open source doit autoriser les modifications de code de sorte que les développeurs puissent créer leurs propres œuvres dérivées et les distribuer sous les mêmes termes que ceux de la licence du logiciel original. La licence ne doit pas être spécifique à un produit particulier ou à une solution matérielle particulière et elle ne peut pas introduire de discrimination entre domaines d’activité ou groupes de personnes. La licence doit être neutre technologiquement et ne pas s’étendre à un autre logiciel.

Par conséquent, même s’il s’agit de logiciels sous licence, leur code source doit être accessible à tout un chacun et libre de l’étudier, le modifier, le distribuer ou le vendre. Des systèmes comme le serveur Web Apache, le RTOS Zephyr, Matter et Linux sont tous des solutions open source dont le développement repose sur le principe de la collaboration entre utilisateurs et industrie.
 

Définition du matériel open source

La définition du matériel open source a été établie par l’Open Source Hardware Association (OSHWA), fondée en 2012. Cette définition est basée sur celle du logiciel établie par l’OSI à laquelle d’autres critères ont été ajoutés pour qu’un matériel puisse obtenir la certification open source. À l’instar des exigences de l’OSI concernant l’accessibilité du code open source, la version 1.0 de la définition du matériel open source[1] exige la publication des fichiers de conception CAO dans des types de fichiers courants.

La définition de l’OSHWA décrit des contingences strictes pour les solutions matérielles dont le fonctionnement dépend de logiciels, comme les microcontrôleurs (MCU). Pour ces solutions matérielles, embarquées ou non, tout logiciel requis doit également être open source. Ou, dans le cas où seul un logiciel closed source serait fourni, l’architecture matérielle et les interfaces doivent être suffisamment documentées de sorte que les développeurs puissent produire aisément un logiciel remplissant toutes les fonctions essentielles.

Tout matériel répondant à cette définition doit également être rendu accessible au public afin de permettre à chacun d’étudier, modifier ou distribuer la solution concernée. Cette stipulation doit permettre à qui le souhaite de reproduire le matériel à partir des schémas de conception fournis et de redistribuer eux-mêmes leur design sous les mêmes termes que ceux de la licence originale.

La majorité des solutions matérielles open source sont des microcontrôleurs dont la valeur ajoutée provient du travail de développement des utilisateurs. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer pour exemple l’UNO REV 4 Minima d’Arduino, l’ordinateur monocarte Raspberry Pi 5 ou encore le Feather M0 Bluefruit LE d’Adafruit.
 

Matériel certifié

Afin d’aider les ingénieurs à la recherche de solutions open source, l’OSHWA a conçu l’Open Source Hardware Certification. Ce programme de certification vérifie que le matériel du projet répond en tout point à la définition de matériel open source établie par l’OSHWA.

La certification s’accompagne du droit légal d’utiliser le logo de certification OSHWA, ce qui permet une identification simple des conceptions concernées. Parallèlement, chaque conception est cataloguée et répertoriée en ligne et sa documentation disponible en ligne sur le site de certification OSHWA.
 
OSHWA
le logo OSHWA porté par des designs open source certifiés (Source : OSHWA)
Afin de s’assurer que le programme soit accessible au plus grand nombre, il fait l’objet d’une autocertification par les concepteurs et n'entraîne aucun coût. Pour obtenir la certification, une conception doit, dans la mesure du possible, utiliser des composants entièrement open source. L’OSHWA reconnaît toutefois que cela n’est pas toujours possible. C’est pourquoi certains composants tiers closed source sont autorisés lorsqu’aucune option open source n’est disponible.
 

Application du matériel open source

Malgré les définitions claires et le programme de certification de l’OSHWA, les critères ne sont pas toujours correctement compris ou mis en œuvre, ce qui peut entraîner un certain nombre de complications pour les ingénieurs qui utilisent la conception (incompatibilité, responsabilité légale…).

Pour garantir la stricte conformité de toutes les conceptions arborant son logo, en plus d’effectuer ses propres contrôles, l’OSHWA encourage la communauté à lui soumettre directement pour examen les éventuels problèmes qu’elle rencontre.

Pour aider les fabricants à obtenir (ou retrouver) un certificat de conformité, le système de pénalités de l’OSHWA en cas d’utilisation incorrecte de son logo est basé sur le temps. Lorsque les fabricants soupçonnés de ne pas avoir respecté les conditions liées à la certification fournissent une réponse acceptable à l’OSHWA ou modifient leurs conceptions dans un délai raisonnable, aucune amende n’est imposée. Cependant, le refus répété de modifier une conception peut entraîner des amendes importantes pouvant aller jusqu’à 10 000 USD par mois.

Le succès du matériel open source

Le matériel open source a déjà largement prouvé sa capacité à constituer une solution convenable dans le domaine de l’enseignement et du développement. Le microcontrôleur UNO REV 4 Minima d’Arduino l’illustre parfaitement.
 
l’UNO REV 4 Minima d’Arduino
l’UNO REV 4 Minima d’Arduino (Source : MouserElectronics)
Le microcontrôleur UNO R4 Minima est livré avec tout un éventail de périphériques intégrés (DAC 12 bits, ampli opérationnel, bus CAN, etc.). Il possède 14 broches d’E/S numériques et prend en charge une large gamme de blindages et de supports. Ce package adaptable est également soutenu par Arduino et la vaste bibliothèque de codes et de projets de référence de sa communauté étendue.

Pour le développement de préproduction, les applications uniques et les projets d’étudiants, par exemple un PLC ou un instrument de mesure personnalisé, le REV 4 constitue une solution idéale en offrant tous les avantages de l’open source aux ingénieurs et utilisateurs finaux. Le succès de l’UNO est tel que le cap des dix millions d’exemplaires vendus a été franchi en 2021 et fêté par Arduino avec la sortie d’une série limitée de son microcontrôleur.

Le fait que l’UNO R4 Minima soit open source autorise à développer simplement un grand nombre de modules complémentaires Arduino et tiers, couramment appelés des blindages (shields en anglais). Le blindage capacitif tactile 12x 2024 d’Adafruit est basé sur la technologie de capteur tactile capacitif de proximité de NXP Semiconductors et est compatible avec la dernière famille de produits UNO REV 4 d’Arduino.
 
blindage capacitif tactile 12x d’Adafruit
blindage capacitif tactile 12x d’Adafruit (Source : Mouser Electronics)
Grâce à cette carte Adafruit, l’UNO REV 4 d’Arduino peut se connecter à 12 capteurs tactiles capacitifs via une simple connexion à pince crocodile. Dans les domaines d’applications de l’enseignement ou du développement, ce blindage permet d’évaluer ou de modifier rapidement des solutions de détection tactile pour des applications comme des télécommandes et des périphériques, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une refonte profonde ou coûteuse de la conception.

Conclusion

Les solutions open source, soutenues par une collaboration industrielle plus étendue, joueront toujours un rôle essentiel au sein de l’industrie électronique, mais la viabilité globale de toute solution dépendra souvent de l’application. Dans les domaines du développement, de l’enseignement et du prototypage, les solutions matérielles et logicielles open source ont déjà largement montré qu’elles étaient capables de surmonter les épreuves, d’accélérer le développement des projets et de favoriser la collaboration avec une communauté plus étendue.

En revanche, la mise sur le marché de solutions commerciales exige une connaissance approfondie des avantages et des inconvénients des systèmes open source afin de déterminer leur véritable faisabilité. Dans la deuxième partie de cette série, nous examinerons plus en détail ce que les conceptions open source peuvent apporter au marché de l’électronique, quels sont les défis liés au matériel open source et comment utiliser au mieux les solutions open source pour les produits destinés à être commercialisés.
 
Le deuxième article de cette série sera publié dans l'édition de mai/juin du magazine Elektor. Ce numéro paraîtra le 11 mai 2024.