"L'objectif est de passer à l'échelle mondiale en utilisant du matériel en accès libre". Tel est le message du professeur Neil Gershenfeld, directeur du Center for Bits and Atoms (centre des bits et des atomes) du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Verrait-on en France une institution aussi prestigieuse se donner un nom aussi coquet ?
On sait que la lutte contre le coronavirus est entravée par une pénurie massive d'équipement médical (masques et assistance respiratoire), dans un contexte de demande explosive face à une offre sous forte pression. En  perturbant les chaînes d'approvisionnement mondiales, la pandémie gêne sérieusement la production et la distribution de matériel médical. Dans une vidéoconférence en ligne, Neil Gershenfeld explique comment le matériel en accès libre peut contribuer à réduire la pénurie.

Matériel en accès libre

Comme les logiciels libres, le matériel conçu dans ce même esprit peut être utilisé librement par tout le monde. Les études à partir de matériel ouvert peuvent être construites, copiées, partagées et modifiées. Si un modèle à accès libre pour fabriquer un masque de protection du visage est mis au point en Belgique, par exemple, il peut être fabriqué et distribué partout ailleurs dans le monde. Les participants à cette conférence en ligne étaient des personnes du monde entier, d'horizons professionnels divers : spécialistes de l’équipement médical, employés d'Airbus et de Philips, un médecin italien et divers membres de la communauté des fabricants.

Aider sans aggraver

Le premier principe est d’aider sans aggraver. Un masque facial qui ne fonctionne pas correctement est plus nocif que l'absence totale de masque, car il donne un faux sentiment de sécurité. Le matériel en accès libre doit donc être conçu en coopération avec des spécialistes médicaux et approuvé par des experts. Un représentant de la FDA, l'agence américaine chargée de superviser l’équipement médical, a déclaré lors de la conférence que les procédures d'approbation seraient accélérées. Une approbation qui normalement prend plusieurs mois serait désormais bouclée en quelques jours.

Prototypage et tests

Le deuxième principe est la combinaison des ressources pour l’essai des prototypes. Les modèles de masques, par exemple, doivent être testés pour vérifier qu'ils bloquent réellement les particules de la taille d'un virus. Les prototypes peuvent être testés dans des lieux où l’équipement spécialisé est disponible, comme les laboratoires du MIT et les départements de R&D des entreprises. L'avancement des différents projets est suivi dans un dépôt GitLab. Si un prototype répond à toutes les exigences médicales, le modèle peut être mis en ligne et peut en principe être produit partout dans le monde. Cependant, l'approbation par l’autorité de surveillance médicale d’un pays donné n'est pas valable automatiquement dans d'autres pays.

Production et distribution locales

Un équipement spécialisé est nécessaire pour les essais de prototypes, mais dans de nombreux cas, pour la production, des machines plus simples suffisent. Neil Gershenfeld a mis en place le premier laboratoire de fabrication (Fab Lab) en 2001. Un Fab Lab est un espace de fabrication équipé de machines à commande numérique, telles que des découpeuses laser, des machines CNC et des imprimantes 3D. Il existe aujourd'hui plus de 1750 Fab Labs dans le monde. Chaque Fab Lab dispose plus ou moins du même type de ressources, depuis le parc de (grosses) machines jusqu'aux minuscules composants électroniques. Ces labos communiquent en réseau sur des plateformes en ligne telles que GitLab, et fonctionnent selon le principe du code source libre (open source) : un modèle conçu au Fab Lab d'UCAL au Pérou, par exemple, peut être produit dans le Fab Lab d'Oulu en Finlande et faire l’objet de développements complémentaires au Fab Lab de Kamakura au Japon.

 

Fab Labs distribués dans le monde entier.

 Les participants à la vidéoconférence ont discuté de la manière d’appliquer le travail en réseau à la production d'équipement médical à l'échelle mondiale. L'expertise de diverses disciplines peut être combinée pour aboutir à des études fiables. Puis les prototypes peuvent être testés dans des labos bien équipés, tels ceux du MIT. Les études qui répondent de façon satisfaisante aux exigences peuvent ensuite être partagées sur l'internet. Ainsi, les Fab Labs et autres espaces de fabrication du monde entier peuvent coopérer pour assurer une production et une distribution locales.

Les masques faciaux en impression 3D

Il existe des exemples de matériel en accès libre utilisé pour soulager la pénurie de matériel médical. Josef Průša, le fabricant des imprimantes 3D Prusa à code source libre, a créé un modèle en accès libre de masques de protection faciale. Les imprimantes 3D du monde entier sont utilisables pour produire des masques faciaux. Le Fab Lab de l'ULB à Bruxelles fabrique également des masques faciaux. En coopération avec l'hôpital local CHU Saint-Pierre, deux prototypes ont été développés pour la production l’un avec découpe laser, l’autre par impression 3D. Après approbation des prototypes par l'hôpital, la production a été lancée. Aussitôt, les Fab Labs de Charleroi et des Ardennes ont rejoint la production à grande échelle.

Comme l'a déclaré Neil Gershenfeld lors de la conférence, "la visée de l’utilisation de modèles matériels en accès libre, sur des outils de prototypage et dans un réseau de production mondial est de barrer la route au virus le plus rapidement possible".