Récemment je me documentais sur le célèbre circuit intégré régulateur de tension µA723 vieux de 50 ans de Fairchild  quand un moteur de recherche bien connu me propose un lien vers une page de bonnes pratiques pour le µA723, avec à la fin l’accroche pour une vidéo sur un « schéma d'Elektor, célèbre mais mal foutu ». Je n'ai pas résisté longtemps à la tentation d'appuyer sur le petit triangle blanc sur fond rouge. Vous non plus

Le concepteur du µA723 a bien travaillé....

Le schéma en question a été publié en 1978 par Elektor ; la vidéo date de mai 2019, soit 40 ans après. Son titre est Fawlty Powers :-) clin d'oeil à une série TV comique britannique des années 1970 (Hôtel en folie dans la version française), et un jeu de mots sur l'adjectif anglais faulty, qui signifie défectueux, mauvais. En français, ça pourrait donner « Puissances fallacieuses ». Cette vidéo intéressante montre certaines des caractéristiques impressionnantes du µA723 : plage de la tension d'entrée 40 V, régulation de ligne et de charge de 0,02% et 0,03% respectivement, et un coefficient thermique de seulement 0,002 %/°C (soit 20 ppm/°C).

Les spécifications de cette puce conçue à la fin des années 60, contemporaine de l'album blanc les Beatles (précision superflue pour faire vraiment vieux) sont comparables voire supérieures à celles de nombreux régulateurs de tension linéaire modernes. Il est toujours au catalogue Texas Instruments dans la version métallique (TO-100) et existe toujours dans d'autres versions. S'agit-il de productions récentes comme on le prétend ou, plus vraisemblablement, de composants NOS (new form old stock) sauvés lors du nettoyage d'un entrepôt après la reprise de Fairchild vers 1987 par National ?

... mais Elektor a merdé !

L'article Elektor décrit une astuce pour faire descendre à 0 V la tension variable régulée par le µA723, ce qui n'est pas prévu par le fabricant. La vidéo explique en détail ce qui cloche dans le schéma d'Elektor et conclut que l'alimentation de labo décrite ne présente nullement les excellentes caractéristiques de régulation de ligne et de charge vantées dans l'article.
 

Pour vérifier mes sources, j'ai aussitôt cherché l'article de 1978. Grâce à la prolifération en ligne des numérisations de tout ce qui a été imprimé depuis Gutenberg, c'est facile à trouver. Je suis tombé d'abord sur la version néerlandaise de l'article, historiquement la VO. À ma grande surprise, non seulement il n'y est pas question d'alimentation de labo mais encore moins d'excellence ; il mentionne au contraire le bémol de l'ondulation résiduelle de 10 mV (rien sur la stabilité de température, cependant).

De traduction en mutation

L'article a été rédigé en néerlandais avant d'être traduit, ou dans ce cas trahi, en anglais. Dans les traductions mal relues, il n'est pas rare, hélas, que des mots et des phrases disparaissent, ni que des mots, des phrases voire des paragraphes entiers sortent de nulle part. On dirait que c'est ce qui s'est passé ici. L'anglaise version contient environ 50% du texte original néerlandais. Le début et la fin diffèrent, peut-être pour compenser une différence de longueur entre traduction et original. Toujours est-il qu'un détail important a fait les frais de cette mutation : pour régler P1, il faut à la sortie de l'alimentation une résistance de charge temporaire d'1 W de 1 kΩ. Ce que le texte anglais ne dit pas.

Incroyable

Me voici donc, 50 ans après la mise sur le marché d'un certain circuit intégré, en train de publier une correction rendue nécessaire par la (mauvaise) traduction d'un article vieux de 40 ans sur ledit CI parce que quelqu'un l'a numérisé et mis en ligne, puis repris et discuté dans les forums, ce qui a incité un quidam vidéaste à consacrer des heures à enregistrer et éditer une vidéo de 20 minutes, pour critiquer le fait que l'article utilise le mot « excellent » alors qu'il n'aurait pas dû. Et maintenant vous le savez aussi (j'en suis désolé).

Quelqu'un pourrait-il éteindre l'internet ?