Il me semble me souvenir qu'en 1996 (peut-être en 1998), un numéro du magazine Elektor était paru avec, en 1ère de couverture, un CD-ROM offert intitulé « Panorama of CAD Programs ». Il contenait près de 20 programmes de DAO électronique dans différentes versions (gratuite, étudiant, évaluation, démo). Le contenu de ce CD-ROM - quelques centaines de mégaoctets - avait été minutieusement compilé par Guy Raedersdorf, notre rédacteur en chef pour l’édition française, qui avait consacré plus d'un an à convaincre les éditeurs de ces logiciels de participer à cette promotion et de fournir le fichier zip correspondant. C’est lui, si j’ai bonne mémoire, qui a, le premier, déniché un produit baptisé KiCad, probablement d’origine française ou suisse.

Depuis son apparition en 1992, KiCad s'est affirmé comme résolument open source, gratuit et sans aucune limitation, et c’est sans aucun doute l'un de ses atouts essentiels. Depuis des décennies, le logiciel est associé aux communautés d’amateurs passionnés d’électroniques. Mais plus récemment, avec la version 5 et une version 6 en préparation, le potentiel professionnel du logiciel a été également reconnu. De ce fait, le CERN, la Fondation Raspberry Pi, Arduino LLC et Digi-Key sont aujourd'hui de fidèles supporters de KiCad.

À propos de supporters, je ne me lasse pas de m’étonner de la ferveur avec laquelle les ingénieurs électroniciens, y compris chez nous ceux d'Elektor Labs, discutent de leur programme de conception de circuits électroniques préféré ou, au contraire, détesté. Vous retrouvez les mêmes débats que pour le foot ou les voitures, sauf qu'ici vous entendrez davantage parler d’Altium, Eagle, OrCAD, PADs, Fritzing ou Mentor PCB. À ce titre, KiCad est plutôt un nouveau venu mais moyennement apprécié à une période, probablement du fait d'un gestionnaire de bibliothèques peu pratique dont vous avez certainement entendu parler. Mais tout cela est de l'histoire ancienne. Aujourd'hui, certains fabricants de cartes à circuit imprimé (PCB) acceptent un fichier KiCad pour fabriquer votre carte et vous la renvoyer par courrier. Oui, cela vous épargne le format Gerber, côté client. La question de savoir si KiCad (v. 5) concerne les professionnels ou non trouvera sa réponse lorsque vous aurez réalisé les projets décrits dans l'ouvrage du Dr Peter Dalmaris.

Méthodique

L'auteur applique des méthodes pédagogiques d'un certain intérêt pour améliorer le plus possible la courbe d'apprentissage de KiCad mais sans perdre le lecteur-apprenant en route. Une partie de l'approche consiste à introduire les méthodes de travail et les outils de manière intuitive et progressive au début du livre, en reléguant la présentation plus formelle, approfondie et détailllée jusqu'au dernier moment.

Un très bon exemple de la démarche est illustré par Eeschema, l’éditeur de schémas de KiCad, décrit dans un chapitre 8 au déroulement rapide. Autour de la page 75 de l'ouvrage, vous avez sous les yeux votre premier schéma, avec netlists et liste de composants. Évidemment, vous n'avez sur ce circuit rien de plus qu'une LED avec une résistance connectée en série, le tout relié aux lignes +5 V et GND. Mais l'essentiel est ailleurs. Il s'agit ici surtout d'apprendre à sélectionner les composants dans une bibliothèque et à les déplacer sur le schéma à l'écran. Au passage, vous pouvez résoudre toutes les erreurs auxquelles l'ordinateur va vous confronter. À peine 25 pages plus loin, vous découvrirez une représentation 3D de la carte à circuit imprimé portant la LED et la résistance.



Bien que l'application ressemble au simplissime exemple d'une LED clignotante sur une carte de développement de microcontrôleur, la méthode d'apprentissage que propose l'auteur est pertinente : plonger dans l’outil (dans le cas présent Eeschema) et se focaliser sur le résultat. Ici, une petite carte à circuit imprimé portant simplement une LED et une résistance. L'implantation d'un circuit FPGA dernier cri en boîtier BGA, sur un circuit à quatre couches, et ce, sans erreur dans les règles de dessin, ce sera pour plus tard ! La démarche se découvre dans un langage clair et pédagogique, sans aucune mention aux innombrables options que vous n’avez besoin, à ce stade, ni de connaître ni d'utiliser.

Cette méthode d’expérimentation directe est aussi facilitée par les excellentes captures d'écran reproduites dans l’ouvrage. Tout d'abord ces illustrations bénéficient d'une résolution et d'un rendu des couleurs optimaux grâce au papier utilisé par Elektor. Deuxièmement, l'auteur a pris la peine de ne montrer que les parties de l'écran relatives au sujet. Troisièmement, il utilise abondamment les signes d'annotations comme les flèches, les encadrés rouges et autres moyens de mettre en valeur un aspect spécifique.



Après le cours accéléré de tracé de schémas à l'aide d’EEschema au chapitre 8, vous ne découvrirez qu'au chapitre 13 la place de la conception des schémas dans le processus complet de fabrication et de production de cartes à circuit imprimé. Pour employer un vocabulaire moins académique, préférez le mot « projet » à celui de « processus » qui exprime bien mieux l'ensemble des activités du lecteur-apprenant. Au-delà des « moments de gloire » qu'il procure, un projet se caractérise aussi par des tâches ingrates, des codes d'erreur, des contournements peu créatifs, des blocages d’écriture, des échecs complets et parfois des problèmes préoccupants. Ce que je peux vous dire, c'est que tout cela est abordé dans cet ouvrage et que l'auteur ne fait strictement aucun effort pour peindre un tableau idyllique de l'utilisation de KiCad. Il est aidé en cela par les messages d'erreur du programme et garde un état d'esprit très encourageant tout au long de l'ouvrage.

Une approche à base de projet

Parallèlement à l'exploration progressive des deux principaux outils de KiCad (Eeschema et PCBNew), l'auteur invite le lecteur à aborder les projets par niveaux de difficulté croissants. Même s’il a l’extrême modestie de ne pas considérer le montage avec LED et résistance comme un projet à part entière, j’aurais un point de vue différent sur cet aspect en comptant quatre projets dans cet ouvrage :
  • 1 : LED alimentée en 5 V avec résistance série
  • 2 : Alimentation simple pour carte de liaison
  • 3 : Petit HAT pour Raspberry Pi
  • 4 : Clone Arduino avec 512 Ko de mémoire EEPROM et horloge intégrées.
 
Dans l'introduction de ce livre, Peter Dalmaris manifeste un grand enthousiasme à propos du produit décrit. Il énumère 10 avantages de KiCad avec lesquels je ne peux pas être en désaccord, même s'il y a aussi des contre-arguments en faveur de produits concurrents, comme Eagle. Peter Dalmaris fait également preuve d'honnêteté lorsqu'il s'agit d'avertir les utilisateurs d'autres programmes des particularités de KiCad. Son principal conseil : « il est plus facile d’apprendre KiCad si vous mettez délibérément vos attentes de côté en l'abordant dans l’état d’esprit d’un débutant ».

Bien plus qu'un livre

Si concevoir une carte à circuit imprimé à l'aide de KiCad est un projet aux multiples aspects, l'ouvrage lui-même ne témoigne que d'une partie des efforts de Peter Dalmaris pour vous accompagner sur le chemin d'une courbe d'apprentissage ambitieuse. Vous avez aussi à portée de main :
  • Une communication directe avec le lecteur au moyen d'un site web dédié (Techexplore)
  • Le forum associé au livre
  • La page « errata » de l’ouvrage
  • Les chapitres qui n’ont pas été inclus dans le livre.

Conclusion

Même si KiCad est un produit logiciel complet, doté d'une aide et d'une documentation d'excellentes factures, un livre décrivant intégralement et de manière pratique le processus d'apprentissage est inestimable. KiCad Like a Pro est un guide de référence rapide qui vous sera très utile en l'absence d’aide ou d'idées pour résoudre des problèmes complexes. Vous y trouverez également un cours instructif et complet que vous pouvez suivre à la lettre grâce à un programme exécuté sur votre PC.
Mes seules critiques seront les suivantes :
  1. Par endroits, la composition typographique ne rend pas vraiment justice à la structure globale de l'ouvrage. Par exemple, ci-dessous, la taille de police des en-têtes des « Parties » (1-5) est la même que celle appliquée pour les « Chapitres » (1-56). Selon moi, l'intitulé d'un chapitre se situe au-dessous d'un intitulé de partie et doit être composé dans une police plus petite. De même, les parties ne commencent pas sur une page de droite comme elles le devraient, selon moi. Apparemment, l'éditeur ou le maquettiste chargé de la mise en page ont été saisis de la peur de la page blanche...
  2. Dans la cinquième partie (« Recipes »), un certain nombre de chapitres sont extrêmement courts (parfois deux pages seulement), ce qui soulève la question de les incorporer sous la forme de sous-sections d’un chapitre plus volumineux.
  3. Contrairement à la longue section consacrée à l'introduction, l'ouvrage se termine de manière plutôt abrupte.
 

Pour autant, aucune de ces réserves ne viendra amoindrir mon verdict final : vous ne serez pas déçu(e) par l’acquisition de ce livre (pardon... de ce projet !).
 
KiCad like a Pro
Auteur : Dr Peter Dalmaris (Tech Explorations)
Elektor International Media
466 pages, reliure souple
ISBN 978-1-907920-74-5
www.elektor.fr/kicad-like-a-pro